Créé par : L'équipe Solidatech
Jérôme Priolet, responsable pédagogie & digital chez Enactus, et Aurélie Alvado, cheffe de projet GRAINE Auvergne-Rhône-Alpes, nous partagent leurs retours sur la transformation digitale initiée au sein de leurs structures.
- Que signifie la transformation numérique pour votre association ?
Jérôme Priolet : Pour nous, la transformation digitale représente un moyen de renforcer notre impact en créant des liens plus forts avec nos bénéficiaires. Cela nous permet de développer de nouveaux projets et de nous professionnaliser, en misant sur la réduction des tâches chronophages et à faible valeur ajoutée, et en nous focalisant sur l'expérience utilisateur.
- Pourquoi avez-vous décidé de lancer votre transformation numérique ?
Jérôme Priolet : Le développement de notre plateforme Enactus Academy a été la première étape dans ce processus de transformation, le premier gros chantier numérique. Durant ce projet nous avons rencontré pas mal de difficultés, mais cela nous a permis de capitaliser des bonnes et mauvaises pratiques, et de construire une expertise sur le numérique en général comme sur la gestion spécifique d’un projet digital. Cette expérience a conduit à une réflexion de fond : comment professionnaliser davantage notre association ? Comment créer une culture de l’expérimentation au sein de notre équipe en forte croissance ?
Aurélie Alvado : La stratégie de transformation numérique du GRAINE a pris corps dans le projet DUNE “Développer des Usages Numériques” en 2017. Ce projet est parti de 2 constats :
D’une part, notre réseau faisait face à une baisse de participation des bénévoles, qui avaient des difficultés à se libérer du temps et à se déplacer physiquement dans les locaux. Nous avions donc besoin d’outils pour nous aider à collaborer, décider et échanger efficacement à distance. D’autre part, les groupes de travail utilisaient une grande diversité d’outils numériques, et cela posait des problèmes en termes de partage et d’accès à l’information, particulièrement pour les personnes les moins à l’aise avec le numérique.
- Comment ce changement a-t-il été amené ?
Jérôme Priolet : Ce changement a été progressif. Il y a toujours eu une dimension digitale chez Enactus, à la fois dans la culture, à travers l’expérimentation, mais aussi dans les formats d’accompagnements proposés, mixant à la fois du contenu présentiel et digital.
De façon générale, l’appétence pour le numérique largement partagée au sein des membres d’Enactus, et recherchée jusque dans les process de recrutement, a favorisé ce changement. On observe que le sujet du numérique a été davantage pris à bras le corps ces dernières années. La création du poste de responsable pédagogie et digital chargé de la veille, de l’identification, de l’implémentation et de la formation aux outils numériques en témoigne.
Aurélie Alvado : Ce projet a duré un an et a été accompagné par 2 structures : La Fabrique à Liens, un acteur spécialisé dans l’Assistance à Maîtrise d’Ouvrage de projets numériques et TADAA, spécialisé dans la mise en place d’outils numériques de stockage et de partage de fichiers libres. Il a suivi différentes étapes : un diagnostic auprès des adhérents et de l’équipe salariée avec un questionnaire en ligne, la constitution d’un groupe de travail pour réfléchir à cette transition numérique, puis des expérimentations des outils pré-identifiés et enfin la mise en place de formations.
A l’issue du projet, en 2018, le réseau GRAINE a lancé le déploiement d’un outil de partage de fichiers (Nextcloud) et d’un réseau social interne (HumHub). Ces 2 outils fonctionnent en complémentarité. Sur le réseau social interne, plusieurs espaces ont été créés pour permettre à chaque groupe de travail de retrouver facilement les prises de notes de réunions (prises sur un pad collaboratif), les documents partagés, un agenda, des sondages, etc. Tous les membres d’un espace peuvent également échanger directement les uns avec les autres.
- Qui a été impliqué dans le processus ?
Jérôme Priolet : Tout le monde porte ce processus ! Les mois d’été sont ainsi des moments privilégiés pour faire le bilan et remettre en cause ou encourager certaines pratiques et certains outils utilisés. La direction est également très active et suit le sujet de près ; en tant que responsable pédagogie et digital, je dépends ainsi directement du directeur. Ce dernier est davantage impliqué puisqu’il porte les recommandations en interne, prend les décisions sur l’implémentation d’un outil et accompagne la mise en place des nouveaux process. Par exemple, pendant le confinement, j’ai mené une étude de marché sur les outils de visioconférence, sondé l’équipe sur leurs besoins, puis formé et accompagné les salariés pour que chacun puisse être autonome sur l’outil.
Aurélie Alvado : L’équipe salariée et les membres du CA se sont impliqués dans ce projet de changement, de l’identification du besoin jusqu’au choix des prestataires et l’expérimentation des outils. Cette capacité à impliquer un maximum de personnes trouve son origine dans les missions et la culture du réseau. Le numérique est un facilitateur, donc l’équipe s’est naturellement saisie de cette opportunité. Une fois les outils mis en ligne, la coordination et la formation des personnes a été assurée par l’équipe salariée, notamment moi-même à distance. C’est également moi qui fais vivre ces outils au quotidien et qui m’assure qu’ils n’excluent personne.
- Quel est l’impact de ce processus ?
Jérôme Priolet : On gagne du temps ! Par exemple, avant l’utilisation de Zapier et d’une solution d’emailing, les contacts avec les nouveaux bénéficiaires étaient très dépendants du salarié, qui pouvait choisir le moment le plus opportun pour faire les relances, envoyer certains documents ou informations. Avec l’automatisation des relances via Zapier, cela a permis de séquencer la chaîne de valeur proposée aux étudiants et d’harmoniser les pratiques. Il a fallu se poser des questions comme “quand envoyer les relances ?”, “par quel canal ?, “qui leur envoie, comment?” etc.
L’équipe est également plus motivée ! Il ne s’agit plus de faire des tâches redondantes et peu intéressantes comme réceptionner et trier des dossiers de candidatures, mais de se focaliser sur les missions à plus forte valeur ajoutée.
Aurélie Alvado : Nous menons une évaluation dont l'analyse nous permettra d'avoir un plus grand recul et d'améliorer encore ces outils. Mais nous percevons déjà que ces outils facilitent notre travail d’équipe !
- Quelques conseils à donner à des associations qui veulent se lancer dans ce processus ?
- Ne pas être focalisé sur l’outil mais sur l’objectif : si je mets en place un outil qui me permet de gagner du temps mais qui rebute mes bénéficiaires, alors cela ne sert à rien. Il faut avoir une posture tournée vers les utilisateurs et voir ce que la mise en place d’un nouvel outil peut avoir comme impact sur eux.
- Parler un maximum avec les gens dans l’équipe, faire en sorte que l’utilisation de ce nouvel outil fasse cause commune : quand on pense automatisation des tâches, cela peut faire peur ! Les personnes peuvent se dire “on va me rajouter des process, je vais devoir me former alors que je n’ai pas le temps”. Un moyen de lever ces peurs peut être de présenter les objectifs de la transformation digitale : gagner du temps et revenir aux missions fondamentales de chaque personne.
- Penser sur le long terme : quand on a trouvé le bon outil, il faut s’y tenir et se donner les moyens pour que cela entre dans la culture de l’organisation.
- Porter une attention particulière à l’éthique dans le choix des outils numériques afin qu’ils soient alignés avec les valeurs portées par l’association.